Les sanctions de la Suisse à l’encontre de la Russie ont déclenché un faux débat sur la neutralité. Considérer que le simple fait de s’associer à des sanctions économiques comme une menace pour la neutralité témoigne d’une conception fortement stéréotypée qui ne correspond pas aux réalités historiques. L’ancien ambassadeur suisse Daniel Woker juge d’ailleurs que la Suisse aurait agi de manière contraire à la neutralité si elle n’avait pas pris de sanctions.
Défense collective
Les exigences d’une coopération militaire transnationale plus étroite de la Suisse ont soulevé de vraies questions sur la neutralité, comme Avenir Suisse l’a abordé fin mars dans une étude sur la politique de sécurité.
Des personnes issues du DDPS ne se lassent certes pas de souligner que la Suisse coopère déjà au niveau transnational et qu’elle entend encore développer cette coopération. Pourtant, la coopération avec l’Otan (bien que beaucoup plus importante que celle avec l’UE), représente moins d’1 % des effectifs et des dépenses pour la défense du pays. Les officiels du DDPS sont opposés à des exercices de défense communs avec les troupes de l’Otan ou à une participation à des groupes de combat de l’UE. Mais comment définir la contradiction avec la neutralité ici ?
Un conflit conventionnel sur le territoire suisse reste peu plausible. Si la Suisse devait effectivement défendre son territoire, il est fort probable qu’elle le ferait en association avec les pays voisins.
L’avion de combat F-35 est conçu pour la défense collective. Selon la Convention de La Haye de 1907, un Etat neutre a le devoir d’assurer sa propre défense. Si les scénarios de menace rendent une défense collective probable, il est logique d’exercer ces capacités. Deux États (jusqu’à présent) neutres et non alignés, la Suède et la Finlande, montrent que cela peut se faire en l’absence de déclarations de soutien officielles – et donc dans le cadre du droit de la neutralité.
La Suède participe à la Force de réaction de l’Otan (NRF). En outre, le pays a signé un protocole d’accord qui permet d’apporter un soutien logistique aux forces alliées qui se trouvent sur son territoire ou qui le traversent lors d’exercices, ou encore en cas de crise. La Coopération de défense nordique Nordefco (Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède) ainsi que diverses coopérations de défenses bilatérales et régionales, y compris la coopération avec l’Otan, exploitent au maximum les possibilités de la neutralité suédoise au sens de la liberté d’alliance sans déclaration de soutien formelle. La Suède oriente donc sa stratégie de défense vers une coopération transnationale. Ainsi, l’agence de défense suédoise écrit dans une étude (publiée avant la guerre en Ukraine), que c’est justement dans la nouvelle multipolarité avec des menaces asymétriques et un terrorisme global que la politique de défense prend automatiquement une dimension internationale et nécessite des solutions transnationales.
La Finlande, quant à elle, a développé sa conception de la neutralité après la fin de la guerre froide en raison d’une réévaluation du niveau de menace. Depuis, elle n’a plus utilisé que le terme de liberté d’alliance ; même si, en droit international, la Finlande est toujours reconnue comme un Etat neutre.
Il existe une coopération de défense étendue entre la Finlande et la Suède, et la première fait partie de Nordefco, dont l’objectif est d’améliorer l’interopérabilité et de créer les bases juridiques et politiques permettant de déplacer des unités et du matériel militaires au-delà des frontières. En outre, la Finlande est un partenaire actif de l’Otan. Des unités essentielles des forces armées finlandaises, comme celles de la marine et de l’armée de l’air, sont formées pour répondre aux normes d’interopérabilité de l’Otan. Les relations avec l’Otan sont également renforcées par la coopération bilatérale avec les Etats-Unis et par des accords trilatéraux avec les Etats-Unis et la Suède. Au total, la Finlande participe chaque année à environ 70 exercices miliaires internationaux (de l’Otan), par exemple en Irak.
Beaucoup de potentiel pour la Suisse
En réaction à la menace russe, la Finlande, et probablement la Suède, aspirent à adhérer prochainement à l’Otan, ce qui signerait l’abandon de leur neutralité en droit international. Pour la Suisse, il n’en est pas question.
Toutefois, la coopération transnationale des deux pays nordiques montre à quel point la Suisse dispose encore d’un potentiel en matière de défense, dans le respect de ses propres obligations juridiques de neutralité. Dans quelle mesure souhaite-t-elle l’exploiter ? Il s’agit d’une question qui devrait être abordée tout en gardant une vision pragmatique des réalités géopolitiques. Ce débat sur la politique de neutralité de la Suisse serait digne d’intérêt. Contrairement à ce faux débat actuel sur la participation à des sanctions contre un agresseur unilatéral.
Cette tribune est parue dans la NZZ.