Le principe d’une prime égale pour tous les assurés, la «prime par tête», est souvent remis en question. Ainsi, il y a donc régulièrement des propositions et des initiatives qui demandent que la prime soit liée au revenu. Le concept de la prime par tête caractérise pourtant le financement du système suisse de santé depuis plus d’un siècle. Il a été confirmé à plusieurs reprises dans les urnes, même s’il a évolué au fil du temps (voir encadré).
Encadré : Comment le concept des primes d’assurance-maladie a évolué à long terme
Avant l’introduction de la Loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal) en 1996, les primes étaient échelonnées en fonction de l’âge d’entrée et du groupe d’assurés, par exemple pour les personnes âgées, les étudiants ou certaines professions. Mais au sein de chaque catégorie, les assurés s’acquittaient d’une prime unique par tête. Cette idée repose sur une logique assurantielle : la « valeur » assurée est la même pour tous puisque la prestation reçue, c’est-à-dire le traitement en cas de maladie, est équivalente.
Avec l’entrée en vigueur de la LAMal, deux changements ont été apportés : premièrement, l’obligation de s’assurer et l’obligation pour les caisses-maladie d’accepter tous les assurés pour éviter la sélection des risques. Deuxièmement, la solidarité entre les personnes en bonne santé et les personnes malades a été renforcée. Depuis, les primes au sein d’une caisse ne dépendent plus de l’âge, mais sont désormais uniformes pour les assurés de 26 ans et plus résidant dans un même canton. Le principe d’une prime par tête a donc été conservé, mais la solidarité a été étendue.
Les primes ne financent que 39% des soins
Dans les débats autour de la prime par tête, on oublie souvent que la population ne finance pas uniquement les soins via les primes. En 2023, celles-ci n’ont couvert que 39% des coûts totaux pour un montant de 36 milliards de francs. A cela s’ajoutent 19 milliards de francs provenant des impôts, soit 20% des coûts totaux, versés aux hôpitaux, aux soins de longue durée et à la prévention, ainsi que 5,9 milliards de francs pour les réductions individuelles de primes. Au total, l’Etat prend en charge près de 25 milliards de francs, soit environ les deux tiers du montant payé par les caisses-maladie. En d’autres termes, pour chaque franc de primes, l’Etat ajoute environ 70 centimes. Le reste est financé par la participation aux frais des patientes et patients ainsi que par d’autres assurances.
Plus un ménage est riche, plus il paie
Après avoir examiné les différentes sources de financement, il reste à déterminer qui contribue le plus au financement du système de santé. Pour analyser la participation liée au revenu de chacun, il faut examiner conjointement les primes maladies et les impôts. Dans ce but, l’OFSP a mandaté en 2021 une étude méticuleuse. Les résultats sont résumés dans le graphique ci-dessous. Pour chaque catégorie de revenus, la prime nette (soit la prime moins les subsides maladies) et les impôts payés au niveau communal, cantonal et fédéral pour financer les prestations des santé pris en charge par l’Etat ainsi que les réductions de primes sont pris en compte.
Il en ressort clairement que, plus un ménage est aisé, plus il participe au financement du système de santé. L’augmentation des dépenses de santé en fonction du revenu est garantie d’abord grâce à une réduction graduelle des subsides d’assurance maladie, puis par la progression de l’impôt.
Ainsi, à l’extrémité gauche du graphique sont représentés les bénéficiaires de l’aide sociale (AS) ou des prestations complémentaires (PC). La plupart de ces derniers ne paient presque pas primes, ni d’impôts. En 2021, 700’000 personnes, soit 29% des bénéficiaires de réductions individuelles de primes, touchaient l’aide sociale ou des PC.
Les ménages à faible revenu sans AS ni PC paient certes des primes, mais celles-ci sont réduites grâce aux subsides : de 37% pour le décile de revenu le plus bas, de 19% pour le deuxième et de 9% pour le troisième. Ces ménages s’acquittent en outre de peu d’impôts alloués à la santé (entre 9% et 14% de leur contribution totale, voir surfaces grises dans le graphique).
Pour leur part, la classe moyenne et les ménages aisés ont certes une prime plafonnée, mais la progressivité de l’impôt rend leur part fiscale nettement plus importante. Ainsi, les impôts représentent environ un cinquième du total des dépenses de santé pour les ménages autour du revenu médian et jusqu’à un tiers pour les ménages entre le 80e et 90e percentiles. Les 3% des ménages au plus haut revenu paient même deux fois plus via l’impôt que via les primes maladies.
Au total, en considérant et les primes et les impôts, les ménages au-delà du 80e percentiles dépensent environ deux fois plus pour le financement de la santé que les 10% des ménages les moins aisés. L’idée que le financement des soins est le même pour tous, indépendamment du revenu, ne correspond pas à la réalité.
Une charge variable selon le type de ménage
Les calculs précédents montrent que les revenus les plus élevés contribuent davantage au financement du système de santé. Cependant, il reste à savoir dans quelle mesure ces paiements pèsent sur les différents ménages en fonction de leur revenu. Sur ce point aussi, l’étude de l’OFSP fournit des indications.
L’étude estime la part du revenu disponible que différents ménages consacrent aux primes nettes moyennes, c’est-à-dire après déduction des subsides. Les impôts, qui financent eux aussi en partie le système de santé, ne sont pas pris en compte.
Le tableau suivant montre à quel point la charge des primes varie selon le revenu et le type de ménage ; allant de 0 à 12% du revenu disponible. Pour les retraités vivant seuls, la charge relative augmente avec le revenu. Pour les couples avec enfants et pour les actifs seuls, la charge augmente jusqu’à la médiane et diminue ensuite.
Considérant que l’impôt, non représenté dans le tableau, augmente de façon progressive, il semblerait que le financement de la santé s’accroit bel et bien avec le revenu.
Les résultats sont par ailleurs proches des 10% du revenu disponible exigé par une récente initiative, parfois même clairement en dessous. Alors que le monde politique s’agite en peignant le diable sur la muraille, les chiffres présentés permettent de mieux différentier la situation des ménages.
Les cantons ont déjà une marge de manœuvre
Les valeurs citées ci-dessus représentent une moyenne nationale, mais de fortes différences cantonales existent. Pour alléger ou distribuer autrement cette charge qui pèse sur les épaules de la population, il n’est toutefois pas nécessaire de changer de système au niveau fédéral. Les cantons ont déjà une marge de manœuvre via trois leviers principaux :
- Premièrement, ils influencent le niveau des coûts de la santé par le biais de leur politique de santé. La planification hospitalière, celle des EMS ainsi que les restrictions pour l’établissement de médecins en cabinet relèvent de la compétence des cantons. Cette organisation est souvent le résultat de décisions démocratiques.
Par exemple, la volonté populaire de garder deux hôpitaux équivalents dans le Canton de Neuchâtel exprimée en 2017 ou le refus de la fusion des hôpitaux cantonaux de Bâle-Ville et Bâle-Campagne lors d’un référendum en 2019. Ces décisions démocratiques sont absolument légitimes. Elles entrainent toutefois des dépenses supplémentaires qui se traduisent par une augmentation des primes et des impôts. - Deuxièmement, l’étendue des bénéficiaires des réductions individuelles de primes et les montants alloués sont également de compétence cantonale. Certains cantons soutiennent de nombreux ménages avec des contributions modérées, d’autres peu avec des contributions élevées :
- Ainsi, le canton de Vaud a introduit en 2019 une loi limitant les dépenses pour la prime-maladie à 10% du revenu déterminant des ménages. Il en résulte que près de 36% de la population vaudoise (contre 26% en moyenne suisse) profitent de ces subsides. Ces subsides pèsent toutefois lourds pour les contribuables vaudois. Ils compteront pour environ 810 millions de francs, soit près d’un quinzième du budget cantonal prévu pour 2024.
- D’autres cantons comme celui de Neuchâtel préfèrent octroyer des subsides de manière plus ciblée : Seuls 22% des personnes en bénéficiaient en 2024, mais les montants sont plus élevés (env. 3700 francs par bénéficiaire, contre 2500 en moyenne suisse).
- Enfin, certains cantons comme Zürich appliquent des conditions d’octroi plus strictes. Les ménages ayant recours à des déductions fiscales, comme des versements dans le 2e ou le 3e pilier de la prévoyance, ou les étudiants dont les parents bénéficient de revenus élevés n’ont pas droit à des subsides.
- Troisièmement, les systèmes fiscaux cantonaux diffèrent fortement : certains prélèvent un impôt modéré « dès le premier franc » de revenu, alors que d’autres préfèrent une progression plus forte, mais seulement à partir d’un seuil de revenu élevé. De ce fait, les différents types de ménages contribuent de manière variable au financement des soins.
A travers ces trois leviers, les cantons peuvent alors influencer non seulement les coûts de la santé (et donc du niveau des primes), mais aussi la répartition de leur financement au sein de leur population. Cela permet de tenir compte des préférences et nécessités locales, sans pour autant remettre en cause ni le fédéralisme ni le principe de financement dual, par la prime et par l’impôt, de notre système de santé.