Jusqu’à nouvel ordre, Washington prélève un droit de douane de 39 % sur de nombreuses marchandises suisses exportées vers les Etats-Unis. Comme réponse à ce choc douanier, une contre-mesure actuellement discutée est de suspendre l’imposition afin de réduire la charge fiscale des entreprises concernées. Le moment semble propice, car le cadre réglementaire est sous pression au niveau international : il y a quatre ans, plus de 130 Etats avaient signé une déclaration d’intention, mais à ce jour, seuls 60 pays environ en ont mis une partie en œuvre, principalement des Etats européens et d’autres pays industrialisés. Des pays tels que les Etats-Unis, la Chine ou l’Inde y ont renoncé jusqu’à présent.
Dans ce contexte, il vaut la peine d’examiner de plus près les éléments clés de l’imposition minimale, les points de controverse et les conséquences possibles pour la Suisse.
Voici l’essentiel des questions à se poser, et leurs réponses :
- Qu’est-ce qui caractérise l’imposition minimale ?
L’imposition minimale s’applique aux multinationales dont le chiffre d’affaires annuel mondial est d’au moins 750 millions d’euros. Il vise à garantir une imposition minimale de 15 % dans chaque Etat. Trois instruments sont disponibles :
- Un impôt complémentaire national garantit que les bénéfices sont imposés à hauteur d’au moins 15 % dans son propre pays. En Suisse, cette réglementation est en vigueur depuis début 2024.
- Si un Etat ne prélève pas son propre impôt complémentaire, l’Etat de résidence de la société mère peut garantir l’imposition minimale des bénéfices des filiales via un impôt complémentaire international, appelé IIR (Income Inclusion Rule). En Suisse, l’IIR est en vigueur depuis début 2025.
- Si ni l’impôt complémentaire national ni l’IIR ne sont prélevés, un autre impôt complémentaire international, appelé UTPR (Undertaxed Profits Rule), permet aux Etats tiers de garantir l’imposition minimale. Pour ce faire, ils imposent les sociétés du groupe établies chez eux pour les bénéfices sous-imposés dans d’autres pays. La Suisse n’a pas encore introduit l’UTPR.
- Quel aspect fait particulièrement débat ?
C’est surtout l’UTPR qui est particulièrement critiqué. Elle permet à des pays tiers d’imposer des bénéfices qui n’ont pas été générés dans leur pays. L’administration Trump parle d’une «imposition extraterritoriale» des groupes américains, une objection qui n’est pas injustifiée.
Exemple : une société mère américaine exploite des filiales en Inde et en Allemagne. Alors que les Etats-Unis et l’Inde n’ont pas mis en œuvre l’imposition minimale, l’Allemagne a introduit les trois instruments. L’Allemagne peut maintenant appliquer l’UTPR à la filiale allemande et saisir ainsi tous les bénéfices «sous-imposés» du groupe, y compris ceux de la société mère américaine et de la filiale indienne.
C’est non seulement difficile à comprendre pour les non-spécialistes de la fiscalité, mais aussi contestable sur le plan juridique. Alors pourquoi l’UTPR a-t-elle été introduite ? Elle doit servir l’objectif de l’imposition minimale, à savoir fixer des limites à la concurrence fiscale internationale : plus les Etats appliquent l’UTPR , plus la pression est grande sur les autres Etats pour qu’ils imposent eux-mêmes à 15 % les bénéfices des groupes concernés.
3) Qu’est-ce qui a changé récemment ?
En juin 2025, les Etats-Unis ont réussi à obtenir des exceptions considérables pour les groupes américains. Un accord du G7 prévoit que les groupes américains seront exclus du champ d’application des impôts internationaux complémentaires IIR et UTPR. Les Etats-Unis se rapprochent ainsi de leur objectif, à savoir que leur système fiscal soit à l’avenir reconnu comme équivalent à l’imposition minimale dans le cadre d’une «coexistence». A Washington, on estime que le système fiscal américain est tout aussi apte à endiguer la concurrence fiscale. Cela signifie qu’il suffirait que les groupes américains se conforment uniquement aux exigences fiscales américaines. Les autres pays ne pourraient alors pas leur imposer en plus l’imposition minimale, même si les règles américaines seraient moins contraignantes que le standard minimum de l’OCDE.
Il existe deux différences majeures entre les systèmes. Contrairement à l’IIR, une approche mondiale s’applique aux impôts américains (par exemple l’impôt sur les revenus étrangers des groupes américains). Ainsi, le taux d’imposition minimum des groupes américains ne serait plus calculé pays par pays, mais globalement, avec certaines limitations. De plus, le taux d’imposition est souvent inférieur aux 15 % de l’imposition minimale.
- Quelles conséquences pour la Suisse ?
Au plus tard depuis l’accord du G7, il est peu probable que l’imposition minimale devienne la norme mondiale sous sa forme actuelle. Il est toutefois difficile de prévoir la suite des événements. C’est maintenant à l’OCDE de décider si et dans quelle mesure l’accord du G7 sera intégré dans le cadre réglementaire sur l’imposition minimale.
Plusieurs évolutions sont possibles :
- Dans le meilleur des cas, l’accord du G7 marquerait le début de la fin de l’imposition minimale. L’attractivité de la place économique suisse s’en trouverait renforcée.
- D’autres Etats pourraient être tentés d’étendre les privilèges accordés aux groupes américains à leurs propres groupes d’entreprises. Pour la Suisse, la pression de respecter strictement l’imposition minimale diminuerait. En effet, de nombreux groupes concernés, qui ont tendance à payer peu d’impôts dans notre pays, paient malgré tout «suffisamment» d’impôts d’un point de vue global. Dans ces cas, une «sous-imposition» dans notre pays pourrait être compensée par une charge plus élevée dans d’autres pays, selon l’organisation à l’étranger (voir question 3).
- Les crédits d’impôt acceptés par le cadre réglementaire initial pourraient être adaptés. Ainsi, les Etats-Unis se sont engagés à accepter à l’avenir certaines formes de crédits d’impôt non remboursables, comme la déduction supplémentaire pour la R&D, répandue dans notre pays. Les cantons auraient à nouveau une plus grande marge de manœuvre. Ce serait positif pour la Suisse.
- Une évolution défavorable reste toutefois possible : dans le pire des cas, les groupes américains seraient systématiquement mieux lotis, tandis que l’UE et le G7 continueraient d’exiger le respect de l’imposition minimale vis-à-vis des autres Etats. Actuellement, des efforts sont déployés au sein de l’OCDE pour délimiter le plus nettement possible l’imposition minimale par rapport au système américain. Ainsi, l’imposition minimale devrait rester inchangée, sauf là où les groupes américains sont concernés.
- La Suisse devrait-elle maintenant suspendre l’imposition minimale ?
Le Conseil fédéral pourrait certes supprimer unilatéralement les instruments de l’imposition minimale déjà introduits, à savoir l’impôt complémentaire national et l’IIR. Mais une telle mesure serait délicate pour plusieurs raisons :
- Pas de véritable avantage fiscal pour les entreprises : tant que des partenaires commerciaux importants de la Suisse tels que l’UE, le Royaume-Uni, le Japon et la Corée du Sud maintiennent l’IIR et l’UTPR, une suspension de l’imposition minimale ne renforcerait pas l’attractivité de la place économique locale. En effet, une grande partie des bénéfices considérés comme «sous-imposés» dans notre pays seraient finalement couverts par l’IIR ou l’UTPR de ces Etats. La grande majorité des groupes concernés est présente dans au moins un Etat appliquant UTPR et ne peut donc pas se soustraire au régime d’imposition minimale. Parallèlement, la Suisse perdrait des recettes fiscales au profit d’autres Etats en cas de suppression de l’impôt complémentaire national ou de l’IIR.
- Davantage de bureaucratie : sans impôt complémentaire suisse ni IIR, les groupes présents dans notre pays sont exposées à des procédures fiscales supplémentaires à l’étranger. L’UTPR en particulier est considérée comme particulièrement complexe et exigeante sur le plan administratif.
- Flou juridique : l’accord du G7 augmente certes la probabilité que les règles types soient adaptées en faveur de la Suisse. Mais cela n’est pas gravé dans le marbre. Il est toujours possible que des instruments tels que l’impôt complémentaire national et l’IIR continuent d’exister et soient simplement adaptés dans le sens de l’accord du G7 (voir réponses 3 et 4). Dans un tel cas, une suspension précoce de l’imposition minimale porterait surtout atteinte à la sécurité juridique et à la sécurité de la planification des entreprises locales.
La dynamique internationale offre à la fois des opportunités et des risques. Dès que la position définitive de partenaires commerciaux centraux se dessinera, la Suisse sera bien avisée d’examiner sa mise en œuvre de l’imposition minimale dans l’intérêt de sa place économique.
6) La thématique de l’imposition minimale de l’OCDE est-elle pertinente pour les négociations avec les Etats-Unis ?
Probablement pas. Certes, l’administration Trump a menacé à plusieurs reprises les Etats de mesures punitives telles que la «revenge tax» s’ils appliquaient l’IIR et l’UTPR aux groupes américains. Mais ces menaces ont été retirées dans le cadre de l’accord du G7 à l’égard de tous les pays. Les Etats-Unis ont en effet atteint un objectif intermédiaire important : une concession de la part du G7. Cela permettra sans doute d’adapter les règles standards de l’OCDE. D’autres pays, comme la Suisse, devront adopter ces modifications. Il serait donc surprenant que les Etats-Unis fassent pression sur la Suisse pour obtenir des adaptations supplémentaires et individuelles de l’imposition minimale lors des prochaines négociations sur les droits de douane. Toutefois, il va de soi que rien n’est sûr.