Dans quelle mesure la concurrence fiscale influence-t-elle le lieu de domicile des contribuables fortunés ? C’est une question controversée. Certains craignent que les plus faibles différences entre les charges fiscales des cantons et des communes suffisent déjà à provoquer une forte concentration de contribuables fortunés dans un nombre réduit de cantons appliquant de faibles taux d’imposition. Pour cela, ils seraient même prêts à abandonner complètement le fédéralisme fiscal. Toutefois, une analyse des statistiques relatives aux impôts sur la fortune relativise ces craintes.
Comme son nom l’indique, l’impôt sur la fortune concerne avant tout les personnes fortunées. Plus de la moitié des contribuables ne verse rien – soit parce qu’après déduction leur fortune nette est négative, soit parce qu’ils ont des dettes, typiquement des hypothèques. A partir d’une fortune nette de plus de 200 000 francs, l’impôt sur la fortune commence à se faire sentir. Dans les cantons de Berne, Fribourg, Neuchâtel, Genève et Vaud, ce seuil est plus bas que dans le reste de la Suisse. Tous les cantons ont adopté un modèle de barème fiscal progressif ; le taux d’imposition moyen augmente avec le niveau de la fortune. Ainsi, dans le canton de Zurich les 10% plus fortunés détiennent 68% des biens patrimoniaux imposables et contribuent à 92% des recettes de l’impôt sur la fortune du canton. A Genève ainsi qu’à Bâle-Ville les fortunes imposables sont, comme les montants des impôts, répartis de manière inégalitaire. Ici, les 10% les plus fortunés possèdent entre 79 à 83% de l’assiette fiscale et paient entre 94 et 95% d’impôts sur la fortune.
Au vu de ces différences cantonales, la question de l’effet de la concurrence fiscale se pose, car les ménages fortunés sont en principe mobiles. En d’autres termes, le renforcement de la progressivité dans les cantons peut mener à un déménagement dans un autre canton, voire à l’étranger. Comme la figure le montre, la progressivité de l’impôt sur la fortune s’affaiblit en effet – au niveau national, le taux d’imposition moyen de la fortune (ligne noire) décline légèrement à partir d’une fortune nette d’environ 5 millions de francs. C’est un indice qui prouve que certaines personnes très fortunées se choisissent un lieu de résidence fiscalement avantageux, là où le taux d’imposition moyen est bas. Il en suit une concentration des fortunes dans ces cantons.
Quelle est l’importance de cette concentration ? La ligne rouge montre la charge fiscale à la condition que les fortunes soient réparties de la même façon dans tous les cantons – elle correspond à la moyenne non pondérée des taux d’imposition cantonaux. C’est donc la charge fiscale qu’on observerait si les personnes fortunées choisissaient leur domicile en ne portant aucune attention au barème fiscal de leur canton de résidence. Les différences entre la courbe effective et la courbe «théorique» ne sont pas du tout spectaculaires. Il est même étonnant d’observer que l’effet de la concurrence fiscale sur la progressivité de l’impôt sur la fortune est relativement faible. En clair, il est surprenant que si peu de contribuables fortunés genevois ou bâlois (où le taux d’imposition maximum est de presque 1% par an) se soient décidés à déménager dans les cantons de Schwyz ou Nidwald, qui ont des taux cinq fois moindres.
Pour que cela soit bien clair : les impôts ne sont qu’un facteur d’implantation parmi de nombreux autres. Les grandes villes offrent d’autres avantages (avant tout dans l’offre d’infrastructure) pour lesquels quelques rares contribuables sont prêts à accepter des impôts élevés. Les petits cantons ruraux n’ont pas cette possibilité et sont par conséquent plutôt enclins à adopter des charges fiscales basses. Cela vaut non seulement pour l’impôt sur la fortune mais aussi pour celui sur le revenu et sur le bénéfice des entreprises.
Pour en apprendre davantage sur le sujet, voir la publication «Entre charges et prestations : une boussole fiscale pour la Suisse».