Revenons sur les événements de début novembre : Hilary Clinton a obtenu environ 200 000 votes de plus que son concurrent républicain. Cependant Donald Trump a obtenu une majorité confortable au sein du collège des grands électeurs, avec 290 grands électeurs contre 232 pour Hilary Clinton. La victoire du républicain a surpris les sondeurs d’opinion et les médias, tout comme la majorité des observateurs politiques qui prédisaient la victoire de la démocrate jusque tard dans la nuit des élections. Alors que les minorités et les votants urbains ont majoritairement donné leur voix à Clinton, Trump a été soutenu par les hommes – et en particulier les hommes blancs. La majorité des femmes était contre Trump, pourtant plus de la moitié des femmes blanches ont voté pour lui. Les Américains estimant que le pays est dans une mauvaise situation économique et les électeurs vivant en banlieue ou dans des zones rurales se sont également ralliés au républicain. De plus, trois quarts de ceux qui expriment leur mécontentement à l’égard de «Washington» l’ont soutenu. Une fois de plus le fossé générationnel était tangible : l’approbation en faveur de Trump augmente avec l’âge. Il a gagné la course présidentielle grâce aux électeurs de plus de 45 ans.

Pas de répit pour le commerce suisse

La critique d’une politique commerciale et migratoire libérale était un des points clés de la campagne présidentielle de Donald Trump. Mais son opposition au libre-échange, et par conséquent aux chaînes globales de création de valeur, n’est pas nouvelle au sein du parti républicain. En 1971 par exemple, Richard Nixon avait introduit une taxe supplémentaire de 10% sur les importations (rapidement abrogée par la suite). Le changement annoncé par Trump, dans un plan en sept points, est plus profond : il vise un retrait des Etats-Unis des négociations, actuelles et futures, concernant des accords de libre-échange, la renégociation d’accords existants et une posture plus dure vis-à-vis de la Chine.

Même si l’économie suisse n’est pas directement concernée, des conséquences se feront tout de même sentir si les plans de Trump sont appliqués. La conclusion du TTIP risque d’être, dans le meilleur cas, retardée. Ceci aura des effets négatifs sur la prospérité suisse, car c’est justement cette pression externe qui aurait pu permettre d’aboutir à des réformes internes nécessaires, comme par exemple l’ouverture du secteur agricole ou la baisse des barrières tarifaires pour l’importation et l’exportation de services. Dans ce contexte, il faut s’attendre à ce que les Etats-Unis se retirent de toute approche multilatérale. C’est une mauvaise nouvelle pour la Suisse qui est bien plus dépendante du commerce international pour sa croissance, que d’autres économies. La part des exportations au produit intérieur brut (PIB) est de 82% pour notre pays, alors que celle des Etats-Unis est de seulement 21% (voir graphique). Par conséquent, les Helvètes seraient bien imprudents de se lancer sur une voie protectionniste à la Trump. La Suisse devra veiller à compenser par elle-même le manque d’impulsion américaine pour le libre-échange au niveau global, car une stagnation des échanges commerciaux nous pénaliserait.

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Normalisation de la politique monétaire repoussée

Les événements qui ne sont pas anticipés par les marchés financiers mènent obligatoirement à des turbulences à court terme. C’est aussi le cas de l’élection surprenante de Donald Trump. Toutefois, la bourse a «la mémoire courte» et la forte volatilité va vraisemblablement se dissiper. Par contre, vu le doute qui entoure l’agenda économique du nouveau président, une incertitude accrue demeurera.

La pression sur le franc suisse, valeur refuge durant des périodes incertaines, croît. Cependant une hausse importante de la valeur du franc sera empêchée par les interventions de la Banque nationale suisse (BNS), comme cela a déjà était fait après le Brexit. Ceci débouchera temporairement sur une hausse des réserves de devises au bilan de la BNS. Le franc suisse va rester à un niveau relativement haut, et donc exercer une pression sur les coûts pour l’industrie helvétique.

La FED décidera prochainement si elle poursuit sa politique monétaire actuelle. Elle se contentera probablement de continuer à renoncer à hausser les taux d’intérêts (ou se limitera à une hausse modeste) afin de ne pas déstabiliser les marchés et d’éviter des changements avant l’investiture. Pour la BNS c’est une mauvaise nouvelle, car cette politique ne relâche pas la pression que subit le franc suisse et prolonge la période de taux négatifs.

L’importance économique de l’Europe et de la Suisse diminue

Les Etats asiatiques sont les gagnants relatifs de la politique économique isolationniste des Etats-Unis. La globalisation pourra certes être ralentie par cette politique, mais pas arrêtée. Les accords prévus avec cette partie du monde, vont en faire un moteur et donc un des grands gagnants de la globalisation. Au contraire, la position économique de l’UE risque d’être affaiblie. La baisse attendue du dollar par rapport à l’euro réduira les exportations européennes aux Etats-Unis – avec des conséquences pour la Suisse aussi. La baisse annoncée d’impôts pour les entreprises aux Etats-Unis (qui rendra l’Europe moins attractive pour celles-ci), ainsi qu’un investissement accru dans les infrastructures domestiques, négligées pendant longtemps, aurait des effets positifs sur l’économie américaine. Cependant, vu l’ampleur de la dette étasunienne, la marge de manœuvre financière est particulièrement mince.

Sur le continent européen, la Russie est la grande gagnante de ces élections, car son importance stratégique se trouvera renforcée face au vide de pouvoir. Si Trump suit la politique isolationniste annoncée, l’Europe devra se passer du «gendarme mondial» américain et investir en conséquence dans sa politique sécuritaire interne et externe.

Concernant la relation Suisse – UE, l’élection de Donald Trump signifie que notre pays doit, plus que jamais, trouver une base stable pour sa participation au marché européen et ses relations politiques avec l’Europe. Ce changement géopolitique, ainsi que la pression économique, pourraient avoir un effet rassembleur sur les Européens.

Les avantages institutionnels suisses et leurs implications

La question de «l’après Trump» peut sembler précoce, mais elle doit tout de même être posée aujourd’hui. D’un point de vue économique, il est certain que le nouveau président ne pourra pas tenir ses promesses de campagne vis-à-vis de la classe moyenne. Le protectionnisme économique et des salaires minimaux à la hausse combinés à plus de dettes ne vont pas augmenter la prospérité américaine. Quel sera alors le comportement des citoyens déçus dans les urnes, dans quatre ou huit ans ?

La Suisse aussi n’est pas à l’abri des courants populistes, mais grâce à notre démocratie semi-directe et un fédéralisme à petite échelle, il est possible pour les politiciens de connaître le ressenti de la population en tout temps. A cela s’ajoute le scepticisme qui s’est développé à l’égard des élites. Grâce à une grande fragmentation du pouvoir, des tendances populistes ne peuvent pas se développer en Suisse avec une telle force et un tel effet de surprise. Pas de risques d’apparition d’un «líder máximo» ou d’une domination excessive de l’exécutif. Certes, ceci n’élimine pas le populisme, mais le canalise. Voilà pourquoi il est important de combattre fermement les tendances populistes avec des faits, tout en prenant les craintes de la population en considération.

Même si sur le court terme, le Brexit a été un événement important car il a modifié la capacité de négociation de la Suisse par rapport à l’UE, Avenir Suisse estime que l’élection de Donald Trump est un processus avec des conséquences plus importantes. Le Brexit va à l’encontre de toute logique économique et trouve son origine dans des courants populistes similaires ; mais cette décision, émanant d’une puissance de taille moyenne n’a que des conséquences régionales, limitées à l’UE. En revanche, l’élection de Trump marque un changement d’orientation politique de la dernière puissance mondiale. Ses conséquences globales concernent pratiquement tous les domaines. Les effets de cette élection sur les démocraties occidentales restent encore incertains.

Une version longue de cet article est parue sur notre blog en allemand.