En un an et demi, depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, environ 10 000 civils ont été tués, dont une grande partie par des attaques aériennes sur des infrastructures civiles. Cela a secoué les autres pays européens, car aucun ne pourrait actuellement protéger sa population ainsi que ses infrastructures militaires et civiles en suffisance. Pour combler ce déficit, l’Allemagne a lancé l’initiative Sky Shield l’année dernière. Il s’agit principalement d’une initiative visant à acquérir des systèmes de défense aérienne basés au sol disponibles sur le marché. 18 pays européens ont rejoint cette initiative. Même la Suisse a signé une déclaration d’intention d’adhésion en juillet dernier et était ainsi sous le feu de critiques politiques.

Sous le parapluie…

La menace persistante de la Russie, qui devrait durer, a été déterminante pour le lancement de Sky Shield. A moyen ou long terme, le Kremlin devrait reconstituer son arsenal de missiles et même s’il serait inférieur à celui de l’Otan dans un conflit conventionnel, ces capacités contribuent à son potentiel de chantage, même en dessous du seuil de guerre. Sky Shield (en français bouclier du ciel) est surtout un terme marketing et qui peut susciter des associations trop optimistes, un peu comme dans Harry Potter avec le sortilège Protego, qui sert de bouclier, et ne permet pas vraiment de protéger tout un territoire. Mais il est certain que si plusieurs Etats s’y associent, cela contribue à son efficacité.

L’objectif de se regrouper pour l’achat de systèmes coûteux et d’obtenir ainsi un prix plus avantageux grâce à des économies d’échelle est plus réaliste. En plus de l’achat, les coûts de formation et d’entretien sont également élevés, ce qui permet d’exploiter les effets de synergie. Enfin, il s’agit également de réduire la dépendance de la défense aérienne européenne des Etats-Unis.

…ou pas ?

Même si l’idée est intéressante économiquement, Sky Shield ne rencontre pas le même intérêt dans tous les pays membres de l’Otan et de l’UE. Sur le plan des intérêts de politique industrielle, le choix de certains systèmes pourrait entraîner des tensions politiques avec les Etats qui acquièrent ou ont déjà acquis d’autres capacités de défense aérienne. Alors que Sky Shield mise sur le système américain Patriot pour l’interception à grande échelle (jusqu’à 100 km), la France et l’Italie font confiance au SAMP/T européen. La Pologne, qui gagne fortement en importance en matière de politique de défense, s’approvisionne quant à elle directement en Patriot et ne mise pas, pour les portées moyennes (jusqu’à 35 km), sur l’IRIS-T SLM allemand prévu pour Sky Shield.

De plus, des questions stratégiques et tactiques se posent. Il s’agit finalement de savoir de quelle manière Sky Shield peut être intégrée en tant qu’initiative politique dans les structures de défense aérienne existantes de l’Otan. Pour éviter une escalade, leur défense antimissile n’était pas axée sur la Russie, mais sur les menaces extérieures à la zone euro-atlantique (Iran par exemple). A noter que l’acquisition de Arrow-3 (portée de plus de 100 km) n’a pas été prévue jusqu’à maintenant dans les plans de défense de l’Otan. La question de savoir si le potentiel de l’initiative peut être pleinement exploité sans la Pologne, dont la situation géographique est importante, reste également ouverte.

Une opportunité pour la Suisse ?

L’adhésion de la Suisse à Sky Shield peut certes passer pour une idée saugrenue, or en y regardant de plus près, un certain potentiel se dégage, car notre pays aussi a de grosses lacunes en matière de défense aérienne. Consciente de ces faiblesses, la Suisse a l’année dernière pris la décision de se tourner vers le système américain Patriot. Concrètement, la Suisse pourrait ainsi bénéficier d’un approvisionnement en munition via Sky Field. Mais comme le Patriot n’est adapté qu’à la défense à longue distance, la Suisse devrait aussi acquérir un système de défense pour les petites et moyennes distances. Si le système allemand IRIS-T SLM, prévu dans l’initiative Sky Shield, s’y prête, alors la Suisse pourrait en faire l’acquisition à un meilleur prix.

Les critiques entrevoient pourtant les problèmes sur le plan de la neutralité en cas d’adhésion à Sky Shield. Puisque la direction dans laquelle se dirige l’initiative n’est pas encore très claire, la Suisse devrait suivre de près les développements décrits ci-dessus concernant l’intégration dans les structures existantes. Une telle participation n’est cependant pas un pas vers l’adhésion à l’Otan. La déclaration d’intention, cosignée avec l’Autriche, pays neutre, assure à la Suisse qu’elle peut se retirer des mesures de coopération en cas de conflit d’un autre membre de Sky Shield.

Une défense aérienne totalement autonome serait pour la Suisse difficile à gérer. Il faut se dire qu’en cas de menace d’attaque aérienne, non seulement la Suisse, mais aussi au moins ses pays voisins seront concernés par la menace et la Suisse devrait défendre son espace aérien avec eux. L’adhésion à Sky Shield reconnaît ce fait et représente une approche raisonnable et pragmatique de la neutralité. Parallèlement, il s’agit d’un test pour voir dans quelle mesure une coopération renforcée en matière de politique de sécurité avec l’Otan et l’UE peut fonctionner.

La sécurité a un prix

Ce qui est clair aujourd’hui, c’est que le renforcement des capacités de défense de l’armée coûtera cher à la Suisse. Selon l’armée, entre 2024 et 2031 seulement, 13 milliards de francs seront nécessaires. En conséquence, le budget de l’armée sera revu à la hausse jusqu’en 2030. C’est pourquoi l’armée a le devoir d’acquérir son matériel de la manière la plus rentable possible, surtout en ces temps où les finances fédérales sont tendues. Les coopérations internationales telles que Sky Shield s’imposent en conséquence.

Tant que la Suisse n’aura pas exploité toutes ses possibilités dans ce domaine, des mesures telles qu’une levée temporaire du frein à l’endettement pour l’acquisition d’armements, telle qu’elle a été présentée cet été sous forme de motion au Conseil des Etats, sont inacceptables. Il va de soi que l’armée doit acquérir les systèmes les plus compétitifs, qu’ils fassent partie de Sky Shield ou non. Mais la participation à l’initiative ne limite pas la liberté de décision à cet égard. Sky Shield est donc une bonne occasion d’envoyer un signal de volonté de coopération, notamment vis-à-vis des partenaires européens, à une époque où la Suisse est à nouveau soumise à une pression internationale accrue.