Pour la Suisse, la mise en œuvre de l’imposition minimale de l’OCDE est un casse-tête. Pourquoi ? Parce que le nouveau régime fiscal ne tient pas compte des particularités institutionnelles de notre pays et parce qu’il nuit à notre attractivité, un élément essentiel. Les milieux politiques sont donc appelés à agir. Mais au lieu de présenter une mise en œuvre adaptée au fédéralisme ou d’adopter des mesures visant à renforcer les conditions-cadres de l’économie nationale, Berne s’intéresse uniquement à la répartition des recettes (non garanties) du nouvel impôt complémentaire.

Alors qu’il s’agissait récemment de savoir si un quart des recettes devait être attribué à la Confédération, l’obsession pour une répartition «équitable» des recettes était à son comble récemment au sein de la Commission de l’économie et des redevances du Conseil national (CER-N). Contrairement au Conseil des Etats, la majorité de la commission ne veut pas seulement garantir à la Confédération une part plus importante des recettes de l’impôt complémentaire (désormais 50 %), mais aussi limiter la part des cantons à 400 francs par habitant. Ce plafond entraînerait notamment des répercussions sur les cantons de Bâle-Ville et de Zoug dont les recettes supplémentaires (suggérées) se réduiraient ainsi à moins de la moitié.

La volonté de cohésion nationale servirait à justifier le prélèvement inadéquat des ressources cantonales et la centralisation cimentée par la petite porte. Or il s’agit là d’un prétexte. Pour les cantons (bénéficiaires) plus faibles sur le plan économique, la meilleure solution serait que les recettes de l’impôt complémentaire leur reviennent, car ils bénéficieraient indirectement de contributions au titre de la péréquation financière plus élevées. Mais les parlementaires rejettent catégoriquement cette option. Et ce, non pas parce qu’ils se soucient tant d’un écart grandissant entre les cantons à faible et à forte fiscalité, mais parce qu’ils ont besoin de plus de recettes pour financer des dépenses supplémentaires. Toutefois, étant donné que les cantons bénéficiaires s’en sortent moins bien lorsque la Confédération reçoit plus d’argent (voir les explications clairement formulées par la NZZ à ce sujet), il faut continuer à les satisfaire en leur redistribuant les recettes supérieures à la limite mentionnée.

Ne pas ouvrir une porte qui devrait rester fermée. (Dima Pechurin, Unsplash)

Attaque frontale contre le modèle de redistribution défini

Pour les cantons de Zoug et de Bâle-Ville, le modèle proposé méprise leurs efforts en matière de localisation, car ils devraient céder une part importante de leurs recettes provenant de l’impôt complémentaire. On ne peut que conclure que la majorité de la commission ne respecte pas les efforts visant à entretenir l’attractivité des cantons. En Suisse aussi, les régions attractives pour les grands groupes font de plus en plus souvent l’objet de convoitise et de mécontentement. Aux personnes qui dénigrent cet argument inadmissible d’un think tank «proche des grands groupes» (selon les dires de Ruedi Strahm), nous recommandons les propos d’Eva Herzog. Lors de la dernière session d’automne, la conseillère aux Etats socialiste et représentante de Bâle-Ville a plaidé, à juste titre, pour que le plus d’argent possible soit conservé par les cantons. Car ce sont eux qui ont aussi le plus de difficulté à garder les entreprises sur leur territoire.

Voici le principal malentendu que suscite l’imposition minimale : ce n’est pas parce que l’on peut s’attendre à des recettes supplémentaires à court terme (nous ne disposons d’aucune donnée fiable sur le montant exact) qu’il s’agit d’un cadeau tombé du ciel. Au contraire, l’imposition minimale entraîne une perte d’attractivité pour les cantons concernés, qui devrait être compensée par une amélioration des conditions-cadres. Réduire leurs moyens sous prétexte que les disparités s’accentuent est une approche préoccupante du point de vue de la politique nationale et risquée en matière de politique budgétaire.

En combinant une part fédérale élevée et un plafond, la majorité de la commission ouvre en effet une porte quil vaudrait mieux laisser fermée. Un système de redistribution qui dépend directement du taux dimposition crée de mauvaises incitations. Lancienne péréquation financière (avant 2008) reposait sur ce principe et a été remplacée, à juste titre, par un système permettant d’éviter justement ces mauvaises incitations. Si la proposition de la commission devait passer, il ne serait guère étonnant que la compréhension de la solidarité intercantonale seffrite à Bâle et à Zoug. Si les deux cantons augmentaient leur taux dimposition ordinaire pour se soustraire au mécanisme, hostile à la performance, de redistribution de limpôt complémentaire, la Confédération se retrouverait les poches vides. 

Il ne faut pas adhérer à l’argument selon lequel la redirection multiple des recettes est nécessaire pour augmenter l’acceptation du projet par la population. Ce sont en premier lieu les opposants à la concurrence fiscale qui devraient s’expliquer s’ils rejetaient le projet de mise en œuvre de l’OCDE. Par conséquent, il n’y a aucune raison d’entrer en matière sur la demande d’une redistribution à plus court terme. Toutefois celle-ci est volontairement acceptée pour satisfaire les désirs de dépenses de chacun. Ce qui est inquiétant, c’est que la satisfaction des objectifs en matière de politique budgétaire risque d’être acceptée jusque dans le Centre. A nouveau, ce scénario reflète une baisse de la compréhension des différences cantonales et de nouvelles demandes de correction de celles-ci par l’Etat central. Le potentiel du fédéralisme s’en trouve réduit.

La facilité avec laquelle la CER-N a mis en porte-à-faux le modèle de redistribution établi entre la Confédération et les cantons est déconcertante : la décision de la commission a été très serrée, avec 13 voix contre 12. Il est donc encore possible d’éviter un atterrissage en catastrophe de la politique en séance plénière.

Pour en savoir plus, consultez notre analyse intitulée «Le meilleur des mondes fiscaux» ainsi que nos articles de blog «L’issue incertaine de la réforme fiscale de l’OCDE» et «Quand la part fédérale pénalise les cantons».